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Bureau Régional pour l’Afrique de l’Ouest

Hamadou Boulama Tcherno : « n’oublions pas les migrants »

2 novembre 2020
Hamadou Boulama Tcherno : « n'oublions pas les migrants »©
Sociologue et journaliste de formation, Hamadou Boulama Tcherno a consacré toute son énergie au travail journalistique et au militantisme associatif pendant près de 3 décennies. Depuis 2012, il consacre l’essentiel de son temps à la protection des droits des personnes migrantes. Membre fondateur et directeur des programmes de l’association Alternative Espaces Citoyens qui s’attache à promouvoir, défendre et protéger les espaces de libertés fondamentales et les droits humains au Niger, Hamadou Boulama Tcherno explique comment il a assuré la continuité de ses activités pendant la pandémie de COVID-19.

Vous êtes une personnalité publique du Niger. Comment vous présenteriez-vous ? Qui êtes-vous et que faites-vous ?

Sociologue de formation et journaliste de profession, j’ai appris le métier sur le tas. J’ai débuté ma carrière dans le journalisme dans les années 1990, en écrivant dans un hebdomadaire de Gauche. En septembre 1994, avec des camarades du mouvement estudiantin, nous avons décidé de lancer un journal dénommé Alternative pour contribuer au débat politique, à la pluralité des opinions dans une période d’effervescence démocratique, mais surtout pour offrir aux citoyens une information différente. L’idée de créer l’association Alternative Espaces Citoyens (AEC) dont je suis un des membres fondateurs et le directeur des programmes aujourd’hui est venue en 2001. La création de cette association découle de l’ambition de ses membres d’occuper le terrain des luttes sociales et de leur détermination à promouvoir, défendre et protéger les espaces de libertés fondamentales et les droits humains.

Depuis 1990, j’ai participé à toutes les batailles pour les libertés politiques et civiques au Niger. Durant trois décennies, j’ai consacré toute mon énergie au travail journalistique et au militantisme associatif. A partir de 2012, l’essentiel de mon temps a été consacré à la protection des droits des personnes migrantes au sein du collectif Loujna Tounkaranke . Au regard de ce parcours, je me considère comme un journaliste et un militant des droits humains.

Alternative Espaces Citoyens dont vous dirigez les programmes « œuvre à l’avènement d’une société fondée sur l’égalité des droits humains et des sexes. » Quelles sont les activités et les objectifs de l’association ?

Alternative Espaces Citoyens (AEC) est une association nationale d’éducation à la citoyenneté créée en 2001, à l’initiative d’un groupe de militants progressistes. Elle dispose de bureaux opérationnels dans 4 régions du Niger.

Ses objectifs sont : i) promouvoir, défendre et contribuer à l’effectivité des droits humains fondamentaux et des libertés individuelles et collectives ; (ii) construire des espaces de résistance, de convergence des mouvements sociaux et de formulation d’Alternatives aux politiques néolibérales ; (iii) développer des initiatives de contrôle citoyen de l’action publique aux niveaux national et local ; (iv) promouvoir les droits, la participation citoyenne et l’autonomisation des jeunes, des femmes et d’autres groupes vulnérables ; (v) contribuer à l’amélioration de l’environnement et à la protection des biens communs, en particulier l’eau, les forêts, les terres et le patrimoine génétique ; (vi) promouvoir l’accès, le développement et l’utilisation innovante des médias et des technologies de l’information et de la communication.

Pour atteindre ses objectifs, l’association s’est dotée de départements thématiques dont l’un porte sur la migration. Son travail repose sur quatre piliers : informer, éduquer, mobiliser les citoyens et mener des campagnes de plaidoyer tournées vers l’action. Pour mener à bien sa mission, elle s’est dotée d’outils de communication dont un journal en format papier, un site web bilingue, des stations FM à Agadez, Diffa, Niamey et Zinder. Le staff technique est composé majoritairement de journalistes professionnels. Cette composition explique entre autres le fait que l’information et la communication soient des leviers importants du travail d’AEC. A cela, il faut ajouter une unité de production audiovisuelle (UPA) qui a produit de nombreux films documentaires pour soutenir le plaidoyer mené en faveur des droits de migrants et de la libre circulation.

AEC mène également des missions d’observation, des enquêtes de terrain pour produire des rapports documentés sur la situation humanitaire et des droits humains. Les sièges des radios abritent des espaces de prise de parole des citoyens et d’interpellation des décideurs. A Niamey, l’espace Frantz Fanon s’est institutionnalisé comme un lieu de formation, de manifestation culturelle et d’interpellation des décideurs. Aujourd’hui, l’association est le point de convergences des activistes et le poumon des luttes sociales et citoyennes, en attestent les multiples déclarations du mouvement citoyen dans ses locaux, l’occupation et la fermeture intempestives de ses bureaux et l’emprisonnement répété de certains de ses animateurs.

Dans le domaine de la migration, AEC organise régulièrement des débats publics de décryptage, un forum national des jeunes, un festival des droits des migrants à Agadez, et réalise des rapports de monitoring sur la vulnérabilité des migrants. Ce travail est mené souvent en collaboration avec des organisations partenaires et à travers des réseaux militants (Loujna Tounkaranke, réseau Sahel Maghreb, MADE AFRIQUE, ROA-PRODMAC, MIGREUROP) dont l’association est membre.
Ces trois dernières années, le travail du département migrations d’AEC s’est concentré sur le décryptage des enjeux des politiques migratoires, la publication des rapports de monitoring, la veille médiatique et citoyenne, la création d’espaces de dialogue avec les décideurs et l’amplification des voix des migrants.

Vous êtes partie prenante du projet PROMIS. Comment ce projet s’intègre-t-il dans vos activités ?

Les activités d’AEC soutenues par le Haut-Commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme(HCDH) dans le cadre du projet PROMIS portent principalement sur l’éducation et la sensibilisation aux droits humains, la surveillance et la documentation de leurs violations, et enfin l’assistance judiciaire aux personnes migrantes en détention. Pour l’essentiel, elles sont tirées du plan d’action 2018-2020 de l’association. Les émissions radiophoniques, les débats publics font partie des activités habituelles. L’assistance juridique et judiciaire aux migrants a été imaginée en réponse aux arrestations arbitraires et incarcérations des migrants résultant de la criminalisation de la migration, en particulier depuis l’application de la loi 2015-36 sur le trafic illicite des migrants. C’est pour cette raison que l’AEC s’est engagé dans un processus de collecte d’informations sur la situation des personnes migrantes en détention, en particulier dans les régions où la pression du gouvernement est forte sur eux. Dans cette optique, les membres des comités de veille citoyenne (CVC) sont chargés de collecter des informations sur les motifs d’incarcération, les procédures engagées et les besoins d’assistance juridique des détenus.

Le mouvement de révolte des demandeurs d’asile et réfugiés à Agadez et la décision des autorités judiciaires d’embastiller les meneurs ont été le point de départ du démarrage en force des activités du projet PROMIS. Aussitôt informé de l’incendie du centre d’accueil humanitaire (CAH) et de l’arrestation massive des demandeurs d’asile, le directoire d’AEC a pris la décision de dépêcher une mission de collecte d’informations, d’établissement des faits pour documenter les allégations de violations de leurs droits fondamentaux lors de l’intervention des forces de sécurité, et pendant leur incarcération à la tribune officielle. Le séjour à Agadez a été mis à profit par le référent du projet pour organiser un débat radiophonique multi-acteurs sur les défis de la protection internationale des étrangers. Le feedback positif reçu après la diffusion de l’enregistrement a conduit la radio Alternative à reproduire le même débat à Niamey, avec la participation du ministère de l’Intérieur.

Par ailleurs, le projet PROMIS a permis à AEC de consolider le partenariat avec la Commission nationale des droits humains (CNDH) du Niger et l’ONG Maison du Migrant de Gao (MdM-Gao) dans les domaines de l’assistance humanitaire et de la protection des droits des migrants. En effet, depuis le début de l’année, ces structures ont mené conjointement des actions multiformes qui ont abouti à la libération, au rétablissement des liens familiaux, et au retour dans leurs pays d’origine de nombreux migrants, malgré la fermeture des frontières liées à la pandémie du COVID-19. La libération et le retour au bercail de ces migrants vulnérables majoritairement des nigériens est le résultat de la conjugaison des efforts des responsables des trois structures. Cerise sur le gâteau, la radio Alternative n’a pas manqué de saisir l’occasion de leur transit à Niamey pour enregistrer des témoignages sur leur parcours migratoire, les conditions de séjour en prison, et l’assistance humanitaire dont ils ont bénéficié de la part de la MdM. 

Grâce à cette initiative, l’AEC et la MdM ont acquis une expérience remarquable dans le domaine de l’accompagnement et de l’accès à la justice des migrant•e•s détenu•e•s. En effet, ce projet a permis à AEC d’enquêter sur les violations des droits humains, de travailler en étroite collaboration avec la CNDH et un Cabinet d’Avocats pour offrir une assistance judiciaire à des nombreuses personnes d’origine étrangère incarcérées à Agadez. C’est dire que l’appui du HCDH a donné les moyens à AEC d’être en première ligne pour défendre les droits des personnes en migration.

En termes d’incidences positives et de résultats concrets, les nombreux débats et rencontres ont permis de mettre le doigt sur les défis de la protection des droits humains des personnes étrangères, de porter assistance judiciaire à 335 prévenus dont 121 lors du procès, de libérer 343 détenus au Niger et au Mali.

Comment la pandémie de COVID-19 a-t-elle affecté vos activités et notamment celles en lien avec les migrants ?

C’est indéniable que la pandémie du COVID 19 a perturbé l’agenda de l’association. Malgré la décision de maintenir les bureaux ouverts, les activités ont connu un ralentissement durant la période de l’état d’urgence sanitaire. En raison des mesures sanitaires et sécuritaires destinées à lutter contre la propagation de la pandémie, le gouvernement nigérien a fermé les frontières, placé Niamey en isolement sanitaire, interdit les ateliers et tout regroupement de 50 personnes pour une période de 3 mois sur toute l’étendue du territoire national. Ces mesures restrictives ont donné un coup de frein à la mise en œuvre de certaines activités de l’association bénéficiant du soutien du projet PROMIS. Il s’agit précisément de la mission transfrontalière à Gao et de l’atelier de formation des activistes et avocats. Ces deux activités majeures ont été reportées en raison de la fermeture de la frontière et de l’interdiction des ateliers.

Comment l’association s’organise-t-elle pour assurer la continuité de ses activités, d’une part, et protéger les droits des migrants, d’autre part, au cours de cette pandémie de COVID-19 ?

Malgré le contexte du COVID19, l’AEC a continué à mener ses activités d’information du public et de mobilisation des citoyens en faveur des droits humains. Au niveau interne, le directoire a pris les dispositions adéquates pour protéger le personnel contre la pandémie à travers le respect des mesures sanitaires édictées par le ministère de la santé publique. Obligation de port de bavettes, dispositif de lavage des mains, affiches de sensibilisation, rien n’a été négligé pour protéger les employés d’une contamination.

Au niveau externe, l’association a participé à la campagne de sensibilisation et de prévention à travers ses stations locales et sa page Facebook, en diffusant des messages multi-langues de sensibilisation et en publiant des informations sur la situation de la pandémie. A Niamey, plusieurs émissions radiophoniques ont été réalisées pour alerter les décideurs et autres acteurs sur la situation des migrants, notamment ceux bloqués dans la région d’Agadez. Le message de l’association consiste à relayer celui de l’ONU disant « n’oublions pas les migrants ».

A Niamey, en collaboration avec la CNDH, des membres de l’association se sont rendus sur le site de confinement des migrants économiques rapatriés du Burkina Faso et de Côte d’Ivoire pour vérifier les conditions de leur séjour, en particulier le respect de leurs droits fondamentaux. A Agadez, André Chani chargé du volet Migrant, a effectué de nombreuses visites au niveau des centres d’accueil et des ghettos pour collecter des témoignages sur les conditions de survie et de confinement des migrants durant cette période de ralentissement de l’activité économique et de refoulement collectif depuis l’Algérie .

Quelles sont les tendances ou les problématiques, dans le cadre du projet PROMIS, que vous avez pu identifier depuis le début de la pandémie ?

Depuis l’apparition du COVID19, nous avons recensé plusieurs problèmes de nature à aggraver la vulnérabilité des migrants et à porter atteinte à leurs droits fondamentaux. La mise en œuvre du projet nous a donné la preuve que les migrants continuent à être victimes de violations de leurs droits fondamentaux par des agents publics. Ces violations de droits humains sont de plusieurs ordres et de gravité variable. La première violation est relative à la détention arbitraire dont ont été victimes les demandeurs d’asile et réfugiés à la tribune officielle avant leur procès.

Alors qu’au Niger, le délai de la garde à vue est de 48 heures, renouvelable une seule fois, AEC a pu constater que les prévenus ont été détenus au-delà du nombre de jours autorisée par la loi. L’autorité judiciaire a justifié la prolongation de la détention préventive par la charge de travail des officiers de police judiciaire (OPJ), pour ficeler les dossiers. A propos du délai de détention, la DUDH fait obligation à l’Etat de « faire comparaître devant une autorité judiciaire dans les plus brefs délais toute personne arrêtée ou détenue pour une infraction pénale ». Comme à l’accoutumée, les victimes n’auront droit à aucune réparation des préjudices subis pendant cette longue détention arbitraire.

La deuxième violation est relative à la violence exercée par les forces de sécurité sur les demandeurs d’asile et réfugiés lors de l’intervention pour disperser le sit-in, éteindre l’incendie qui s’est déclaré au camp et arrêter les meneurs. Ces faits graves ont été portés à la connaissance de la mission lors de la visite du CAH. Malheureusement, le climat d’insécurité dans le camp n’a pas permis d’approfondir les entretiens afin d’établir la véracité de ces allégations. Toutefois, l’avocat a informé les victimes qu’elles ont le droit de porter plainte, mais aucun des plaignants n’a franchi le pas, en raison probablement de l’existence d’un sentiment de peur de la justice. Cela constitue est un obstacle à leur accès à la justice.

La troisième violation porte sur des allégations de mauvais traitements. A Agadez, les membres de la mission de collecte d’informations ont récolté des témoignages qui font état des traitements assimilables à de la torture, pratique interdite par de nombreux textes (art 5 DUDH de 1948, art 7 du PIDCP, art 5 de la CADHP, Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants de 1975) ratifiés par le Niger.

En effet, il est ressorti des entretiens que les prévenus ont été soumis à des traitements humiliants et dégradants dans le but de les intimider. Dans le centre et à la tribune officielle, les victimes ont affirmé avoir subi une série d’actes (surpopulation des chambres, manque d’aération et de sanitaires,…) attentatoires à leur dignité.

Durant la période, les militants d’AEC ont constaté que le travail des associations de protection des droits humains continue à faire l’objet d’entraves par les agents publics. Lors de la visite effectuée à la tribune officielle pour vérifier les conditions de détention, les forces de sécurité (police, gendarmerie) ont empêché aux membres de la mission de prendre des photos. Pire, leur présence au moment des entretiens a instaurée un climat de méfiance entre les membres de la mission et les détenus.

Par ailleurs, la pandémie du COVID-19 a accentué la situation de vulnérabilité des migrants installés ou bloqués au Niger. Le secteur informel, véritable poumon de l’économie populaire, qui embauche les migrants a été sérieusement impacté par les mesures sécuritaires liées à l’état d’urgence sanitaire. En effet, le confinement et le couvre-feu se sont traduits par l’arrêt brusque du fonctionnement des restaurants, bars, boites de nuit, salles de spectacle et de jeux. Ce sont ces secteurs qui offrent de petits boulots aux migrants dans les centres urbains. Du coup, de nombreux migrants se sont retrouvés sans emplois et sans ressources pour survivre. Pire, les mesures barrières de distanciation physique et la psychose née de la pandémie ont brisé la chaîne de solidarité envers eux.

Pouvez-vous partager avec nous une expérience (en lien avec les droits des migrants et idéalement depuis le début de la pandémie) que vous considérez comme une expérience de référence pour AEC ?

En juin dernier, un partenariat stratégique entre AEC, la MdM et la CNDH du Niger a permis la libération, le rétablissement des liens familiaux et le retour au bercail de 3 jeunes nigériens dont 2 étaient incarcérés à la maison d’arrêt de Gao. Les 2 mineurs âgés de 15 et 16 ans ont été relaxés par la justice, après un séjour carcéral de plus de 3 mois. Depuis leur remise en liberté, ils étaient logés, nourris, habillés et suivis médicalement –COVID19 oblige- par cette structure caritative. Le troisième âgé de 17 ans a quitté Tchintabaraden (région de Tahoua) pour le sud algérien. Après plusieurs mois d’errance, il s’est retrouvé sur en compagnie d’autres migrants un site d’orpaillage au nord Mali. Epuisé par de longs mois de labeur sans paiement, il réussit à s’enfuir pour rallier Gao, à bord d’un camion de transport de marchandises. Pendant tout le temps qu’a duré leur parcours migratoire, les familles étaient sans nouvelles de leurs enfants. C’est dans ce contexte, que M. Eric Kamdem Alain, coordinateur de la MdM, a sollicité AEC pour rétablir le contact avec leurs familles. Dans la foulée, saisie du dossier, la CNDH a menée des démarches auprès du ministère de l’Intérieur pour obtenir le retour des enfants au Niger, malgré la fermeture des frontières liées à l’état d’urgence sanitaire. Finalement, les garçons ont été accueillis à l’espace Frantz Fanon de Niamey par les 2 commissaires aux droits humains, des responsables d’AEC, le président du Conseil des éleveurs Nord Tillabéri et des membres de leurs familles.