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Bureau Régional pour l’Afrique de l’Ouest

Nana-Jo Ndow : "ANEKED a pu aider des familles à déposer des plaintes contre deux gouvernements"

7 décembre 2020
Nana-Jo Ndow: "ANEKED a pu aider des familles à déposer des plaintes contre deux gouvernements"©
Nana-Jo Ndow est la directrice et fondatrice de l’ONG de défense des droits de l’homme ANEKED (le Réseau africain contre les assassinats extrajudiciaires et les disparitions forcées) qui fait campagne contre les disparitions forcées et les exécutions sommaires. Dans cette interview, elle expose la mission de son réseau et tire les leçons des expériences rencontrées dans le travail de protection de migrants depuis la pandémie.

Qu’est-ce qui vous a amené à fonder le Réseau africain contre les assassinats extrajudiciaires et les disparitions forcées (ANEKED) en Gambie ?

Mon père Saul Ndow, un critique virulent du régime de Yahya Jammeh en Gambie, a été victime de disparation forcée en 2013 et aurait été tué sur ordre de Yahya Jammeh. La disparition forcée est un crime si odieux. Elle est également considérée comme un crime contre l’humanité. Elle a des conséquences dévastatrices pour les familles qui restent dans l’incertitude de ne pas savoir s’il faut faire le deuil de la personne disparue ou poursuivre les recherches. Ce qui les laisse bloquées dans le processus de gestion de la perte - tant au niveau émotionnel qu’au niveau social. Il s’agit d’un crime aggravé par le manque d’informations sur les morts et les disparus.

Je me suis également rendu compte qu’un tel réseau n’existait pas sur le continent africain, alors je l’ai lancé dans l’espoir de pouvoir contribuer à la lutte contre ce crime afin que d’autres n’aient pas à vivre ce que ma famille et moi avons vécu à l’avenir. Je veux aussi inspirer la prochaine génération de créateurs de changement. Je sais que ce n’est pas une tâche facile à assumer, mais je suis déterminée !

ANEKED fait campagne contre les disparitions forcées et les exécutions sommaires. Quel type d’approche votre organisation apporte-t-elle pour traiter ces violations en Afrique, en d’autres termes, que fait ANEKED ?

ANEKED combine le pouvoir de la technologie, de l’expertise juridique et des médias traditionnels pour exposer ces injustices et plaider en faveur de la justice pour les victimes et leurs familles. Les activités comprennent la sensibilisation, les poursuites judiciaires contre les gouvernements, le lobbying auprès des institutions appropriées pour que des lois soient adoptées afin de prévenir et de protéger contre ce type de crime. Nous avons une approche centrée sur les victimes dans tout notre travail et nous appliquons toujours une perspective de genre. Les hommes sont le plus souvent ceux qui sont victimes de disparition forcée ou d’assassinat, cependant, la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées de 2006 définit les victimes du crime comme étant à la fois les disparus et ceux qui ont subi un préjudice résultant directement d’une disparition forcée. Cette définition a des implications importantes pour les femmes, qui constituent la majorité des personnes laissées de côté pour recoller les morceaux après une disparition, hantées par l’espoir que leur proche soit toujours en vie.

Comment le projet PROMIS s’intègre-t-il dans les activités d’ANEKED ?

La disparition forcée dans le contexte de la migration est un phénomène complexe, qui n’est pas suffisamment signalé. Notre travail contribue à mettre en lumière cette question dans l’espoir qu’elle reçoive l’attention qu’elle mérite. Le caractère transnational du problème met également en évidence la nécessité d’une coopération entre les États, les organisations internationales et locales aux niveaux régional et mondial.

Comment la pandémie a impacté vos activités, notamment sur les disparitions forcées dans le contexte de la migration ?

La pandémie signifie qu’une grande partie de notre travail a dû se faire en ligne (dans la mesure du possible), ce qui peut parfois rendre la communication difficile en raison de problèmes de réseau, etc. En outre, elle a retardé la mise en œuvre d’autres activités qui doivent être réalisées en personne, car les mouvements de personne ont été restreints en raison de mesures de confinement ou de la fermeture des frontières. Ainsi, par exemple, les audiences des tribunaux ont été retardées et lorsqu’elles ont repris, elles se déroulent en ligne, ce qui signifie que nous devons veiller à ce que les personnes concernées aient accès à l’internet pour pouvoir se joindre à nous.

Vous construisez des partenariats par le biais de réunions formelles et informelles, d’ateliers et de programmes de mentorat à travers le continent africain. Comment ces partenariats stratégiques vous aident-ils à relever les défis engendrés par la pandémie ?

Les partenariats nous permettent d’avoir des informations de première main et de mieux comprendre la situation sur le terrain. Nous pouvons également exploiter notre réseau pour pouvoir atteindre certaines des personnes que nous aurions normalement atteintes en personne directement avant la pandémie.

Pensez-vous partager avec nous un « succès story » une bonne pratique ou une histoire positive que vous avez pu rencontrer depuis le début de la pandémie ?

Malgré les difficultés rencontrées en raison de la pandémie et des mesures d’éloignement sanitaires/sociales mises en place, ANEKED a pu aider des familles (et par extension des migrants) à déposer des plaintes contre deux gouvernements (ceux du Ghana et de la Gambie) devant la cour de justice de la CEDEAO dans l’affaire des migrants ouest-africains victimes de disparition forcée en 2005 en Gambie alors qu’ils se rendaient en Europe par bateau.

Quelles sont les leçons principales que vous avez pu tirer depuis le début de la pandémie au regard de la protection des migrants et de leurs droits ?

La pandémie a davantage exposé la plus grande vulnérabilité des migrants en situation irrégulière ou sans papiers. Nombreux sont ceux qui ont occupé des emplois informels sans prestations ou sans droit aux allocations de chômage et qui ont été laissés à l’écart des mesures d’assistance mises en œuvre par les États, ce qui les a encore plus marginalisés. Les migrants ont un droit à la santé et les États ont la responsabilité de les intégrer dans les plans et politiques nationaux de prévention et d’intervention COVID-19, quel que soit leur statut ou leur nationalité.