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Bureau Régional pour l’Afrique de l’Ouest

COVID-19, changements climatiques, droit de l’homme dans le Sahel : Les jeunes et les femmes au coeur de la réponse

24 août 2020
COVID-19, changements climatiques, droit de l'homme dans le Sahel : Les jeunes et les femmes au coeur de la réponse©PNUD
Initié en janvier 2020 pour une durée de 3 ans, le projet Jeunesse Sahélienne pour l’Action Climatique (JESAC), est un projet mis en place par Oxfam, en partenariat avec des ONG locales, dans les régions Sahéliennes du Burkina Faso et Niger, afin de promouvoir le leadership et l’autonomisation des jeunes et des femmes dans des initiatives liées à la récupération des zones dégradées et à l’adaptation au changement climatique. COVID-19, changements climatiques, droits, jeunesse : ce projet, qui vise donc à doter les jeunes de ressources et moyens d’action pour faire face aux défis du changement climatique, est au coeur des enjeux émergents globaux, en matière des droits de l’homme. C’est dans cette perspective que le bureau régional pour l’Afrique de l’Ouest du Haut-Commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme s’est entretenu avec les responsables du projet JESAC pour Oxfam au Burkina Faso et au Niger, ainsi qu’avec Oxfam en Afrique de l’Ouest (Karime Séré pour le Burkina Faso, Abdou Moussa Mounkaila pour Oxfam au Niger, Hannah Cooper et Michael Sladeczek pour Oxfam en Afrique de l’Ouest, Norman Martín Casas pour Oxfam Intermón – Espagne). Leur message : renforcer la redevabilité et la protection des populations en soutenant les ONGs des Droits de l’Homme. Entre autres.

En quoi le projet JESAC pourrait-il permettre de renforcer la dimension humaine de la sécurité des jeunes et des populations de la région, et par conséquent leurs droits fondamentaux ?

Au Burkina Faso et au Niger, les interventions en lien avec la gestion de la crise climatique doivent impliquer les jeunes, étant donné qu’ils représentent la frange la plus nombreuse de la population. Dans nos zones d’intervention (Burkina Faso et Niger), les jeunes constituent surtout la main d’œuvre avec peu de revenus, et ils se trouvent souvent pris en tenaille par des contextes d’instabilité avec des crises humanitaires récurrentes et l’insécurité grandissante. Par exemple, dans les zones autour de Ouahigouya (Burkina Faso), la situation n’est pas la même qu’avant, avec plus de restrictions de mouvement. Les effets liés à la crise climatique et la question sécuritaire sont chaque fois plus interconnectées. Dans ces contextes où les jeunes se trouvent sans ressources, il y a de plus en plus des tentatives de recrutement par les groupes armés et il est plus facile de les convaincre à s’enrôler dans l’extrémisme violent.

Le projet va permettre de renforcer les moyens d’existence des jeunes bénéficiaires dans la zone sahélienne. Les jeunes seront renforcés et outillés du point de vue technique et aussi dans l’aspect financier, pour les rendre plus résilients aux enjeux climatiques et à la situation d’insécurité et de pauvreté. Le reboisement et la pratique de l’agroforesterie peuvent leur permettre d’avoir plus de production agricole en saison sèche et plus de revenus. Avec ces activités qui vont renforcer durablement leurs moyens d’existence, leur donner plus de revenus et plus d’autonomie dans leurs vies, on peut les aider à améliorer leurs droits fondamentaux et leur sécurité face aux risques liés à l’extrémisme violent et humanitaires.

Il s’agit également d’un projet qui vise le renforcement de leadership des femmes en milieu rural dans la gestion du foncier dans le domaine de l’agroforesterie. Il y aura des parcelles qui seront exploitées par les femmes, ce qui va améliorer leur qualité de vie dans les zones d’intervention où il y a des poches de sécheresse et de famine. Avec ce projet, les femmes auront l’opportunité d’avoir des revenus permettant d’améliorer leurs conditions de vie et leur autonomisation financière.

Pour Oxfam, la sous-région du Sahel, qui inclut le Burkina Faso, est à la fois une terre d’inégalités et une terre d’espoir. Quelles analyses faites-vous de la situation du Burkina qui doit faire face à une crise sécuritaire et humanitaire auxquelles s’est greffée la pandémie du COVID-19 ?

La crise au Burkina Faso est l’une des crises humanitaires qui se développe le plus rapidement dans le monde. Le pays compte plus de 848 000 personnes déplacées internes, dont 84 % de femmes et d’enfants. 2,2 millions de personnes ont besoin d’aide humanitaire. Depuis que la crise au Burkina Faso s’est aggravée en 2018, l’accès humanitaire est devenu de plus en plus restreint, et comprend à la fois la capacité des populations touchées à accéder à l’aide dont elles ont besoin et l’accès des acteurs humanitaires à ces communautés. La crise est avant tout une crise de protection, et l’insécurité a entraîné la fermeture de nombreux services essentiels dans le pays (notamment les écoles et les centres de santé).

La pandémie du COVID-19 s’est ajoutée à la crise humanitaire en mars 2020. Malgré la portée géographique relativement concentrée de la maladie, elle a accentué les inquiétudes des gens dans tout le pays. Le manque d’eau potable et les pénuries alimentaires ont rendu les gens moins capables de faire face à certains des impacts immédiats et à long terme de la pandémie.

De manière générale, les situations sécuritaire, humanitaire, de sécurité alimentaire et du COVID-19 sont associées et la gestion est de plus en plus difficile à maîtriser par l’Etat. Avant la question de la pandémie, la gestion sécuritaire était déjà difficile à assurer. Alors, l’impact médiatique du COVID-19 risque également qu’on mette de côté les autres crises dont les populations sont des victimes.

Pour le Niger, la situation humanitaire est de plus en plus complexe, en raison de la naissance de nouveaux foyers de conflit. Cette fois ci, on a jusqu’à 5 régions affectés sur 8. Au début c’était 3 régions : Diffa, Tahoua et Tillabéry. Mais il commence à s’étaler dans des régions sécurisées du centre du pays comme Maradi et Dosso. La région d’Agadez aussi fait face à des enjeux sécuritaires. Nous avons assisté à un nombre important de personnes déplacées et des réfugiés retournés venant du Nigeria, Mali, Tchad et Libye, à cause de la situation sécuritaire et sanitaire. Le COVID-19 est venu compliquer les choses, car il y a beaucoup de besoins dans les zones en termes de sécurité alimentaire, d’assainissement et accès à l’eau, ainsi que de mesures d’hygiène. Si on prend le secteur de la sécurité alimentaire, la crise du COVID-19 a affecté les moyens d’existence, particulièrement chez les ménages extrêmement vulnérables. Les besoins sont en train de se multiplier à cause des mesures restrictives dues à la situation d’urgence, ce qui a un double impact. Les experts sont en train de spéculer sur un doublement de la population projeté en risque d’insécurité alimentaire pendant la période de soudure, tant agricole comme pastorale.

Comment les Nations Unies, et plus particulièrement le Haut-Commissariat aux droits de l’Homme (HCDH), pourrait contribuer à « coordonner les réponses à la crise multiforme au Burkina Faso et placer les besoins des populations au centre des interventions » comme votre rapport « Sahel : Lutter contre les inégalités pour répondre aux défis du développement et de la sécurité » (Juillet 2019) suggère ?

Le COVID-19 vient s’ajouter à une crise de protection et humanitaire dans un contexte de fragilité chronique. Malgré l’expansion du COVID-19 et l’appel au cessez-le-feu global du Secrétaire Général des Nations Unies, les violences ont continué au Burkina Faso poussant des milliers de personnes à fuir. En un mois, entre mars et avril 2020, 11000 nouveaux déplacés ont fui les violences. En plus des attaques des groupes armés ciblant les civils, les ONG et organismes nationaux œuvrant dans le cadre de la promotion des Droits de l’Homme ont également rapportés des abus suspectés d’avoir été commis par des groupes d’auto-défenses mais également des forces de l’ordre (sources : Human Rights Watch ; Amnesty International ; MBDHP ). Le HCDH et les Nations Unies ont un rôle crucial à jouer pour renforcer la redevabilité et la protection des populations en soutenant les ONGs des Droits de l’Homme, les processus permettant de prévenir les abus ainsi que les enquêtes et processus judiciaires menées par le gouvernement pour assurer une redevabilité et une justice rapide et efficace pour tous.

Le conflit qui affecte la région des trois frontières (Liptako-Gourma) est ancré dans des réalités complexes et multiformes qui ont néanmoins en commun les problématiques d’inégalités et de tensions autour des ressources, des opportunités économiques et du pouvoir. L’approche militaire cherchant à éliminer les groupes armés a montré ses limites. Au lieu de s’éteindre, le conflit de 2012 au Mali s’est progressivement étendu et affecte désormais de plein fouet le Burkina Faso et les frontières Niger-Mali. Il est crucial d’aller au-delà de la logique militaire et de répondre aux causes motrices du conflit en consultation avec les populations affectées. Les Nations Unies ont un rôle crucial à mener pour aider à mettre en place les consultations avec les communautés affectées et les efforts pour répondre à ces causes de conflit.

L’expansion du COVID-19 s’ajoute à une crise humanitaire en détérioration continue. La réponse à cette crise reste largement insuffisante. Dans un rapport sur les femmes dans la crise au Burkina Faso publié par Oxfam en mai 2020, ces besoins ressortent très clairement. Les femmes interrogées expriment leur désarroi lorsqu’elles doivent se rendre à des points d’eau parfois très éloignés et attendre des heures, dans la crainte de potentiellement attraper le COVID-19, pour remplir les quelques bidons pour s’approvisionner. L’insuffisance de nourriture, le manque d’accès aux services de santé, la promiscuité et le manque d’abris renforçant les risques de violences basées sur le genre remontent fortement des entretiens réalisés. Il est urgent de plaider pour un financement suffisant de la réponse et de mettre en place une réponse basée sur les principes humanitaires, sensible au genre, mieux coordonnée, plus redevable et mieux adaptée à une augmentation continue des déplacements et des déplacements qui risquent de durer plusieurs mois voire années. Le renforcement des services essentiels notamment en eau, santé et éducation dans les zones recevant les déplacés ainsi que permettre l’accès à ces services pour les plus vulnérables est crucial pour pouvoir répondre à la crise humanitaire et COVID-19.