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Bureau Régional pour l’Afrique de l’Ouest

Brah Mamadou Ali : "La CNDH Niger a utilisé sa position stratégique pour faciliter l’assistance apportée aux migrants"

30 novembre 2020
Brah Mamadou Ali: "La CNDH Niger a utilisé sa position stratégique pour faciliter l'assistance apportée aux migrants" ©
Commissaire au sein de la Commission Nationale des Droits Humains (CNDH) au Niger, monsieur Brah Mamadou Ali préside le Groupe de travail qui traite des questions migratoires, de la lutte contre les discriminations et des pratiques esclavagistes. Il explique comment, dans le contexte de la pandémie de COVID-19, la CNDH assure la continuité de ses activités afin de protéger les droits des migrants et partage certaines expériences de soutien et appui aux migrants originaires du Niger.

Comment êtes-vous devenu commissaire à la CNDH et en quoi consiste votre fonction ?

La Commission Nationale des Droits Humains (CNDH) est conforme aux principes de Paris qui voudraient qu’une Institution Nationale des Droits Humains (INDH) soit indépendante, pluraliste et démocratique. C’est ainsi qu’aux termes de l’article 3 de la loi 2012-44 du 24 aout 2012 déterminant la composition, l’organisation, les attributions et le fonctionnement de la CNDH, la Commission est composée de neuf membres permanents. Les membres de la Commission portent le titre de Commissaire. C’est à ce titre que j’ai été élu par mes collègues Magistrats sur une liste de trois candidats. Je préside le Groupe de travail qui traite des questions migratoires, de la lutte contre les discriminations et des pratiques esclavagistes. Je suis en outre le représentant de l’Afrique de l’Ouest au Groupe de travail du Réseau Africain des Institutions Nationales des Droits de l’Homme (RINADH) sur la migration.

La CNDH est en charge de la promotion et de la protection des droits de l’Homme au Niger. Que fait–elle pour les droits de migrants ?

Dans le cadre de l’accomplissement de sa mission constitutionnelle et conformément à son mandat de promotion et de protection des droits humains, la Commission Nationale des Droits Humains du Niger reçoit les plaintes des migrants, diligente des enquêtes en cas de violation desdits droits, opère des visites notifiées ou inopinés dans les centres d’accueil, de transit et de rétention de ces derniers sur l’ensemble du territoire national. Aussi, ladite Commission, en même temps qu’elle apporte une assistance juridique et judiciaire aux migrants en situation de vulnérabilité, organise des sessions de renforcement de capacité des différents acteurs de la migration (Forces de Défense et de Sécurité, Magistrats etc.) et de sensibilisation des migrants eux-mêmes. La Bridage de Veille pour les Droits des Migrants (BVDMN) pilotée par la CNDH et de l’ONG GRASPI à travers le Projet PROMIS avec le soutien financier de HCDH/BRAO a renforcé le dispositif de la Commission sur les questions de migration.

En effet, avec trois missions d’investigation à son actif, ladite Brigade a révélé des cas avérés de violation des droits des migrants au niveau des postes frontaliers de Makolondi et Petalkoli (Burkina Faso), celui d’Assamaka (frontière Algérie) et des autres postes de police et de Gendarmerie le long des routes empruntées par les migrants. Ces missions ont permis de dissuader lesdites FDS à violer les droits des migrants. Aussi, les agents de la police et de gendarmerie sont- ils conscients qu’à tout moment ’ils peuvent faire l’objet de visites inopinée de la BVDMN qui conformément à la loi régissant la CNDH dresse un rapport assorti de recommandations à l’endroit des autorités compétentes. Il faut préciser à ce niveau qu’il nous arrive souvent d’entretenir les Membres du Gouvernement ou les Députés en tête-à-tête sur les cas de violation des droits de migrants. Les séances de travail avec ces autorités ont un impact positif, car fréquemment suivies de sanction à l’encontre des fonctionnaires auteurs de violations des droits.

Comment le projet PROMIS s’intègre-t-il dans vos activités ?

Le Projet PROMIS s’intègre dans nos activités à travers la recherche de réponses efficaces aux violations des droits de l’homme en lien avec la migration qui fait partie mandat de la CNDH à travers le Groupe de travail sur les questions migratoires. Ce mandat commun à PROMIS et à la CNDH permet de renforcer la protection et la promotion des droits de l’homme des migrants à travers essentiellement : le plaidoyer (auprès des autorités, des structures de la société civil et des communautés) ; la surveillance des droits de l’homme (par les visites inopinées, la sensibilisation des migrants pour les inciter à dénoncer les cas de violations de leurs droits) ; le renforcement de capacités des autorités nationales et de la société civile sur les droits de l’homme des migrants ( par exemple la formation des forces de défense et de sécurité, des acteurs de la société civile et des membres du Comité interministériel chargé de la rédaction de la politique national migratoire) et même celui des cadres de la CNDH à travers des sessions webinaires pendant cette période de la COVID-19 ; l’accès des migrants à la justice (à travers assistance juridique et judiciaire, la visite des lieux de détention etc.).

Comment la pandémie de COVID-19 a-t-elle affecté vos activités et notamment le travail en lien avec les migrants ?

Aux premières heures de la pandémie, toutes les activités relatives à la promotion et à la protection des Droits de l’Homme ont été bloquées suite aux différentes restrictions imposées par le Gouvernement pour lutter contre ce fléau. Sur le plan migratoire, lesdites mesures ont eu pour conséquences :
- l’accroissement du flux migratoire en provenance de l’Algérie dans les centres de transit et d’accueil de l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM) qui du fait de la fermeture des frontières n’arrivait plus à acheminer les migrants dans leurs pays d’origine ;
- la mise en quarantaine des migrants au niveau du poste frontalier d’Assamaka a plus exposé les migrants qu’elle ne les a protégé contre la pandémie, la capacité d’accueil du centre ne répondant pas aux besoins ;
- les mesures limitant les déplacements et surtout celles isolant la ville de Niamey souvent, même pour assister les migrants (cas des migrant arrêtés et condamnés à Arlit sans avoir été assistés juridiquement et judiciairement) ont interrompu toutes nos actions à l’endroit des migrants.

Comment la CNDH s’organise-t-elle pour assurer la continuité de ses activités afin de protéger les droits des migrants au cours de cette pandémie de COVID-19 ?

La CNDH, pour assurer la continuité de ses activités, a donné plein pouvoir à ses différentes antennes et points focaux aux niveaux des régions qui de façon permanente dressent des rapports au cas par cas, au-delà des rapports périodiques qui leur incombent. Aussi, la CNDH a-t-elle, dès l’assouplissement des mesures prises par le Gouvernement pour lutter contre la COVID-19, procédé à des actions de sensibilisation et de don en vue d’accompagner le Gouvernement dans ladite lutte. Elle a couplé toutes ses activités de promotion et de protection des Droits de l’Homme en général et celle des droits des migrants en particulier à des actions de sensibilisation sur le respect des gestes barrières et de don gel, savon, bavette etc.. C’est dire que toutes les activités étaient menées dans le respect des gestes barrières, situation qui exige une certaine logistique liée aux moyens cités précédemment à de l’espace (pour la distanciation sociale). En outre, dans cette période, la CNDH a dû utiliser sa position stratégique pour faciliter l’assistance apportée aux migrants par les structures non-étatiques en servant d’interface entre ces dernières et l’Etat.

Sur tout un autre plan, au niveau des lieux de détention, pour atténuer l’impact de l’interdiction des visites, la CNDH a fait des recommandations au Ministre de la justice pour accorder plus de temps de communication téléphonique aux détenus. Mieux encore, des recommandations dans le sens de revoir avec les magistrats la question des poursuites et de la détention aux cas strictement nécessaires avaient été faites. Ces recommandations ont été suivies d’effet.

Quelles sont les tendances ou les problématiques que vous avez pu identifier depuis le début de la pandémie, concernant les droits des migrants et notamment dans le cadre du projet PROMIS ?

Les problématiques identifiées depuis le début de la crise de la COVID-19 sont relatives à la gestion du flux migratoire au niveau des centres d’accueil et de transit de migrants. Les refoulements des migrants par certains pays du Maghreb se sont multipliés tandis que la fermeture des frontières avec les pays d’accueil et leur refus de concéder un couloir
humanitaire ont eu pour conséquence, le surpeuplement desdits centres à tel enseigne que le respect des gestes barrière est devenu pratiquement impossible. Il faut également ajouter que les restrictions de mouvements des ONG qui assistent les migrants aggravent leur vulnérabilité entre les mains de fonctionnaires véreux.

Pouvez-vous partager avec nous une expérience (en lien avec les droits des migrants et idéalement depuis le début de la pandémie) que vous considérez comme une expérience de référence pour la CNDH ?

Il s’agit à ce niveau d’un exemple de coopération transfrontalière multi-acteurs qui a permis un rétablissement des liens familiaux. En effet dans ce cas, après un plaidoyer auprès des autorités judiciaires, la Maison du Migrant (MDM) de Gao a obtenu la libération de deux jeunes nigériens incarcérés à la maison d’arrêt et de correction de cette localité. Après un séjour de plus de trois mois en prison, les deux mineurs ont été libérés. Ils ont été remis entre les mains d’Éric Kamdem Alain, coordonnateur de la MDM. C’est dans ce contexte que ce dernier a contacté Alternative Espace Citoyen (AEC) pour rétablir les liens avec la famille. A son tour, AEC s’est tourné vers le Conseil des éleveurs du nord Tillaberi pour retrouver les parents des enfants. Le Président de ce collectif a promptement facilité la mise en relation. C’est ainsi que la mère des enfants est partie les rejoindre à Gao. Au moment où la MDM s’apprêtait à organiser leur retour au Niger, le Gouvernement a décidé de la fermeture des frontières en application des mesures de lutte contre la propagation de la COVID-19. Après des longues semaines d’attente, les enfants et leur mère ont pu rejoindre Niamey. Ce retour au pays n’a été possible qu’avec l’implication de la CNDH qui est parvenue a levé toutes les barrières dressées sur le chemin de retour. Il faut noter également que le responsable de la MDM chargé d’accompagner les mineurs et leur maman a ramené un autre enfant dont l’aventure migratoire est très malheureuse. Il a séjourné en Algérie avant de se retrouver dans les mines d’orpaillage au Nord Mali. ».

Un autre cas similaire, le 13 juillet 2020 la CNDH a été saisie par l’ONG Alternative Espace Citoyen par rapport à la situation d’une quarantaine de migrants nigériens ressortissants des régions de Zinder et de Maradi refoulés d’Algérie et acheminés au nord Mali dans un état de vulnérabilité extrême par la Croix –Rouge. Le même jour ladite Commission a immédiatement porté les faits à la connaissance du Ministre de l’Intérieur et intercédé en vue de leur rapatriement sur le territoire national. Le Ministre a répondu favorablement, ce qui a permis l’entrée de ses nigériens au pays et leur prise en charge.

Enfin, un autre exemple pas de moindre pendant cette période de pandémie, le cas de l’Observatoire pour les droits des migrants (OMD) qui s’est vu proposer les locaux et le personnel de la CNDH pour continuer à apporter aide et assistance aux migrants (à travers les consultations médicales, les soins, l’alimentation etc.). Des migrants vulnérables ont d’ailleurs passé des nuits dans les locaux de la CNDH.