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Bureau Régional pour l’Afrique de l’Ouest

Moetsi Duchatellier : « Les stratégies de réponse au COVID-19 doivent tenir compte de l’interaction entre le genre et la pandémie »

21 avril 2020
Moetsi Duchatellier : « Les stratégies de réponse au COVID-19 doivent tenir compte de l'interaction entre le genre et la pandémie »©
Les femmes sont plus particulièrement exposées ou à risque face à la pandémie du COVID-19. Moetsi Duchatellier, Conseillère régionale genre au bureau régional de l’Afrique de l’Ouest du Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, et coordinatrice du groupe régional thématique genre pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre (R-GTG), explique pourquoi les stratégies de réponse au COVID-19, doivent non seulement reposer sur une approche basée sur les droits humains mais aussi prendre en compte la problématique du genre, pour être efficaces.

La pandémie du coronavirus touche toutes les catégories de populations, peu importe l’âge, le sexe, l’ethnie, etc. Dans quelle mesure, pouvons-nous dire que les femmes sont plus particulièrement exposées ou à risque face à ce virus, notamment dans la région de l’Afrique de l’Ouest ?
La pandémie du coronavirus est effectivement une menace pour chaque personne et pour tous. Néanmoins, il est important de regarder plus en détail pour mieux comprendre qu’elle ne touche pas tout le monde de la même manière.
Par exemple, en Afrique de l’Ouest, comme partout ailleurs, on a noté que les femmes sont particulièrement présentes dans les métiers de la santé.

Il est assez révélateur de signaler que, dans le monde, près de 70 % du personnel soignant mondial est composé de femmes. Infirmières, sages-femmes, aides-soignantes, agentes de santé communautaire ou autres, elles sont celles qu’on retrouve en première ligne face à cette pandémie. Dans la famille, elles sont aussi celles qui prennent soin des autres, notamment des malades. Elles sont aussi très présentes dans des métiers qui les mettent en contact quotidien avec de nombreuses personnes comme les marchandes ou les caissières, par exemple. Du fait de ces interactions quotidiennes, les femmes sont particulièrement à risque de contracter le virus. Le fait que les écoles ferment et que les enfants se retrouvent à la maison a aussi un impact différent selon que l’on est une femme ou un homme.

En effet, les femmes sont celles qui sont le plus souvent chargées du soin des enfants et le fait de les avoir à la maison aura pour conséquence d’augmenter la charge du travail domestique et éventuellement avoir un impact sur leur capacité à travailler. La violence est un autre aspect qui doit aussi nous préoccuper. La violence à l’égard des femmes n’a pas commencé avec la pandémie mais le fait de se retrouver confinée avec son agresseur, avec moins de visite de la famille qui parfois peut faire barrière à l’expression de violence, peut créer des situations de plus grandes vulnérabilités.

Ce risque accru de violence existe aussi pour les personnes appartenant à la communauté LGBTI qui, en plus de la stigmatisation dont elles font déjà l’objet dans nombre de pays, peuvent se retrouver isolées dans des environnements ou elles ne sont pas acceptées ou carrément rejetées.. Par ailleurs, devant l’ampleur de la crise, nous voyons que les systèmes et les dispositifs de santé nationaux réorganisent leurs efforts et ressources, à juste titre, vers la prévention et le traitement du coronavirus ce qui peut avoir des conséquences sur la disponibilité des services notamment de santé sexuelle et reproductive. Alors que, pandémie ou pas, les besoins pour les soins de santé maternelle, la contraception, ou encore les produits d’hygiène menstruelle demeurent.

Parallèlement, une meilleure prise en compte des femmes dans la gestion de la crise permettrait certainement d’être plus efficace dans la réponse. Etant, au cœur même des communautés, responsables de l’éducation, des soins aux malades, elles sont mieux à même de répercuter les messages de prévention. Il serait dommage de se priver de cet atout alors que nous pouvons, par des processus de consultation et la participation aux décisions, leur permettre de participer pleinement aux efforts pour lutter contre la pandémie.

L’analyse de la manière dont le coronavirus affecte distinctement les sexes est-elle pertinente pour lutter contre la pandémie ?
Les disparités que je viens d’évoquer sont souvent sous-tendues par des normes sociales et des stéréotypes sexistes nuisibles qui sont à l’origine de la discrimination fondée sur le genre. Voilà pourquoi, selon le contexte dans lequel le virus se propage, les femmes et les jeunes filles peuvent se trouver dans une situation de vulnérabilité particulière qui sera probablement exacerbée avec cette pandémie.

En outre, les expériences passés comme celles relatives aux épidémies de Zika ou d’ Ebola, justifient un certain nombre de préoccupations liées au genre. Ces expériences ont montré que pour répondre à ces défis, la première étape est de comprendre et cela implique d’avoir des informations qui soient ventilées par sexe pour que l’on puisse mieux appréhender la manière dont ces différences s’expriment. Cela va permettre, dans un deuxième temps, de développer des stratégies capables de répondre à ces défis.

Par exemple, assurer que les services de santé sexuelle et reproductive puissent continuer à fonctionner de manière satisfaisante. Ou encore, de s’assurer qu’une femme qui fuit une situation de violence alors que c’est déjà l’heure du couvre-feu ne soit pas inquiétée. Pour donner un dernier exemple, cela peut aussi permettre d’identifier des communautés ou des groupes chez qui l’information – notamment l’information concernant la prévention - n’arrive pas comme elle devrait créant ainsi un risque pour ces personnes, mais aussi pour l’ensemble de la société.

La réalité, aujourd’hui, est que nous manquons encore de données précises sur les différences entre les femmes et les hommes dans les infections, les complications et les risques de mortalités de telles pandémies. Comment une approche basée sur les droits humains et tenant compte des problématiques de genre pourrait-elle contribuer à une réponse efficace ?
Devant les défis liés à la réponse au COVID-19, il est essentiel d’avoir accès à tous pour s’assurer d’une réponse efficace. Et une approche basée sur les droits humains permet de ne laisser personne de côté, quelque soit son âge, son sexe, qu’on habite en ville ou dans les zones rurales. Elle est juste, elle est éthique, elle se fonde sur les engagements pris par les Etats. Mais aussi, elle est efficace.

Dans le cadre des efforts visant à répondre de manière coordonnée à la pandémie de COVID-19, le groupe régional thématique genre (R-GTG), que le HCDH préside pour 2020, a récemment partagé aux différentes agences des Nations Unies en Afrique de l’Ouest et du Centre, une note qui formule un certain nombre de recommandations pour y faire face en tenant compte des problématiques du genre. Je vais donc en exposer les principales.

Tout d’abord, une approche efficace n’est possible que sur la base de données fiables. A ce titre, il est essentiel, au minimum, de ventiler les données relatives à l’épidémie par sexe, âge et handicap et de les analyser en conséquence afin de comprendre les différences d’exposition et de traitement entre les sexes et de concevoir des mesures préventives et de réponse différenciées. La collecte des données concernant les effets de la pandémie sur la jouissance des droits des personnes doit démarrer au plus vite afin d’en comprendre les conséquences autant économiques que sociales.

Ensuite, pour une réponse aussi efficace que possible, les plans de réponse nationaux doivent se baser sur l’analyse des données, en tenant compte des dynamiques préexistantes dans chaque contexte national afin de déployer des actions appropriées à court, à moyen et long terme. Une approche basée sur les droits humains impose que les gouvernements qui introduisent des mesures pour empêcher la propagation du coronavirus, comme le confinement ou la quarantaine, entreprennent une série d’actions supplémentaires pour réduire l’impact potentiellement négatif que ces mesures peuvent avoir sur la vie des individus spécialement sur les femmes et les filles.

Enfin, compte tenu de leur interaction en première ligne avec les communautés et donc du rôle qu’elles peuvent jouer dans la surveillance de la sécurité sanitaire mais aussi dans les mécanismes de détection et de prévention, les femmes et les jeunes filles doivent participer et être impliquées dans tous les processus de prise de décision, pour que la réponse à l’épidémie de COVID-19 soit effective.