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Bureau Régional pour l’Afrique de l’Ouest

Patrice Vahard : « Notre réponse au COVID-19 est une opportunité unique pour le plaidoyer en faveur du droit au développement en Guinée »

4 mai 2020
Patrice Vahard : « Notre réponse au COVID-19 est une opportunité unique pour le plaidoyer en faveur du droit au développement en Guinée »©
La pandémie du COVID-19 se développe dans une Guinée qui fait face à des tensions politiques en lien avec le double scrutin, législatif et référendaire, de mars 2020. Patrice Vahard, le Représentant de la Haute-Commissaire des Nations Unies aux Droits de l’Homme en Guinée, analyse l’impact de la crise politique sur les droits et libertés fondamentales des populations, et explique pourquoi la réponse collective des Nations unies au COVID-19 est une opportunité unique pour le plaidoyer en faveur du droit au développement et à la protection sociale.

Le 21 mars 2020 à minuit, des mesures ordonnées par le chef de l’Etat pour lutter contre la propagation du coronavirus en Guinée sont entrées en vigueur. Le 22 mars 2020, les guinéens ont été appelés à voter pour élire leurs députés et à se prononcer sur le projet d’une nouvelle Constitution. Comment dans cette dynamique, avez-vous évalué le respect des droits de l’homme tant au niveau de la participation aux affaires publiques qu’au niveau du droit à l’information et à la santé ?

Le double scrutin législatif et référendaire de mars dernier, avec des élections législatives boycottées par les principaux partis de l’opposition, et le referendum constitutionnel qui a suscité la colère d’une partie de la population qui y voyait une manière à peine déguisée pour le Président de la République de rester au pouvoir, s’est donc déroulé dans un contexte de violence, croissant dans le pays et que l’épidémie du coronavirus avait déjà touché la Guinée, avec déjà deux cas confirmés (dont un guéri) à l’époque du scrutin.

Un plan de préparation et de réponse au COVID-19 pilotée par l’Agence Nationale pour la Sécurité Sanitaire est mise en place par les autorités Guinéenne. Le 8 avril 2020, le président Condé a approuvé un "plan de riposte économique" au COVID-19, chiffré à plus de 3.000 milliards de francs guinéens (292 millions d’euros). Ces plans bénéficient de l’appui de l’ensemble de la Communauté internationale. Au niveau des Nations Unies nous avons adopté un plan de contingence et de résilience pour appuyer ces efforts.

En fait l’erreur à ne pas commettre serait de dissocier le plan riposte économique du plan de préparation et de riposte sanitaire aussi bien au plan global que dans le contexte spécifique de la Guinée. L’un ne vient pas après l’autre ; les deux se renforcent mutuellement. Il est par exemple illusoire de faire respecter la consigne du lavage de main à des ménages dans les zones ou l’accès à l’eau potable était un défi même avant l’apparition du COVID-19.

Comment imposer le confinement à des familles nombreuses vivant à plusieurs dizaines dans les cours communes dont les femmes, les mères et les jeunes assurent le vécu quotidien à travers des petits métiers ? Quid des personnes handicapées dont l’accès aux services de base risque d’être davantage réduit du fait de l’urgence sanitaire qui touche toute la société sans discrimination ?

Le COVID-19 exacerbe une situation socio-économique déjà complexe. Les changements climatiques, la pollution et la dégradation de l’environnement résultant notamment de l’exploitation des richesses naturelles, du déni des services sanitaires de qualité ou d’une éducation ininterrompue, en particulier pour les filles, restent d’énormes défis. La pauvreté absolue et le manque de choix qui forcent de nombreux jeunes à la migration irrégulière et exposent d’autres à la traite des êtres humains.

A titre d’exemple, les jeunes guinéens représentent la première nationalité parmi les mineurs non accompagnés étrangers arrivant en France. La continuité des services sociaux de base doit faire partie des mesures d’atténuation et constituer le moyen le plus efficace pour stopper la propagation galopante du COVID-19 au niveau communautaire.

Comment cette pandémie impacte-t-elle, particulièrement, les droits économiques et sociaux des Guinéens et leur droit au développement ?

En fait il ne faut pas aborder cette question uniquement en jetant un regard sur la Guinée de l’intérieur. Plus haut, j’ai évoqué les défis internes aux droits économiques, sociaux et culturels. Voyons la question de manière plus globale. La Guinée est une économie intégrée au reste du monde. La pandémie du COVID-19 met en avant la question du droit au développement aussi bien au plan interne qu’international.

Sur le plan interne, il n’y a pas d’alternative à la participation inclusive de toutes les couches sociales et des forces de travail pour venir à bout de cette pandémie qui n’épargne personne. On voit bien que cela exige le respect, la protection et la réalisation des droits économiques, culturels, civils, politiques et sociaux. Par exemple, la circulation des fake news sur le COVID-19 est non seulement une violation du droit à l’information ; mais dans le contexte de cette pandémie, elle constitue le principal facteur d’aggravation et compromet tous les efforts déployés par les autorités sanitaires.

Lutter contre les fake news exige moins une législation répressive que la responsabilité partagée de tous. De même, les rackets lors des contrôles de routine ou des arrestations des personnes qui défient les mesures sanitaires réduisent à néant les sacrifices consentis pour freiner la propagation. Il faut donc veiller, avec les autorités compétentes et la société civile, à ce qu’ils ne se produisent ou cessent.

Ce qui est intéressant aussi dans cette riposte c’est qu’elle repose sur la notion de responsabilité individuelle ou de devoir du citoyen ; un concept en droit international des droits de l’homme étroitement lié à la participation inclusive. On ne saurait se limiter à la responsabilité de l’Etat pour assurer une riposte effective au COVID-19. Cette riposte requiert aussi de la discipline et un sens aigu de patriotisme. La sensibilisation, l’information et la responsabilité individuelle de chaque membre de la société est déterminante.

Il faut aussi condamner et réprimer les actes irresponsables et d’incivisme qui favorisent la propagation du virus. Enfin sur le plan international, il n’y a aucune alternative à la coopération internationale et à la solidarité face au COVID-19. La riposte à cette pandémie ravive la pertinence du droit au développement, qui est un droit de solidarité et de coopération entre Etats, un devoir de participation active de chacun d’entre nous à l’intérieur des communautés où nous vivons ; et un droit à la jouissance équitable aux fruits du développement et de l’exploitation des ressources naturelles et intellectuelles.

La solidarité dans le domaine scientifique doit prendre les dessus sur les considérations mercantiles de propriété intellectuelle pour permettre un accès rapide et abordable aux médicaments en particulier les plus couches les plus pauvres. De même, ce principe de solidarité se traduit dans la promotion de notre commune humanité et dans la lutte contre la discrimination raciale, pour le droit des migrants et des réfugiés. Le défi au niveau global est de voir la mobilité comme une des principales richesses de notre époque que la riposte au COVID-19 ne doit pas remettre en cause.

A travers le plan de riposte économique au COVID-19, le gouvernement entend-il "protéger la société, prendre en charge les maladies, aider les plus démunis et prévenir l’effondrement du système économique. Le Système des Nations Unies en Guinée et les partenaires techniques et financiers du pays apportent un appui à ce plan. Quelles en sont les enjeux ?

La crise sanitaire que l’épidémie de coronavirus implique va sans aucun doute davantage fragiliser économiquement la Guinée et les guinéens. Si la volonté affichée par le Président vise, pour reprendre ses propres termes, à « minimiser les effets de la pandémie sur l’économie du pays et sur les ménages des plus défavorisés », cette ambition, du fait même, de la propagation du coronavirus dans la sous-région et dans le pays sera difficile à réaliser sans la solidarité à la fois interne, sous-régionale et internationale.

Il est clair que la situation économique de la Guinée interpelle sur les promesses d’un avenir et d’un environnement plus propices que sous-entendent les potentiels minier et hydraulique mais aussi les taux de croissance économique du pays ces dernières années. Néanmoins la réalité est que le droit au développement, pour l’essentiel de la population, reste insaisissable.

Il faut encore plus d’efforts pour que les revenus, aussi conséquents soient-ils, des activités extractives guinéennes, se traduisent en dividendes concrètes pour les populations. La crise du COVID-19, du fait des efforts qu’elle exige de la part des acteurs nationaux et partenaires internationaux, risque d’être un frein supplémentaire à l’amélioration des conditions de vie des populations guinéennes, et d’anéantir les quelques progrès réalisés en matière de droits économiques et sociaux.

Il est aussi important de rappeler que la Guinée fait partie des pays qui ont payé le prix fort lors de l’épidémie d’Ebola, il y a 6 ans, en raison, notamment, de la faiblesse de son système de santé. Cette épidémie avait engendré des pertes en PIB évaluées par la Banque mondiale à 535 millions de dollars (soit environ 7 % du PIB en 2015). Malheureusement, il semble que les premiers signes de la pandémie de COVID-19 montrent que le système sanitaire de ce pays ne s’est pas complètement rétabli et n’est pas tout à fait préparé à faire face à la pandémie.

Aider ce pays à renforcer urgemment son plateau sanitaire relève non seulement de notre responsabilité de solidarité ; mais cela constitue également le moyen, à terme, de rentabiliser et de pérenniser les investissements et sacrifices financiers consentis par les institutions financières et le secteur privé. Ne perdons pas de vue que la principale richesse de ce pays et son réel potentiel sont sa population et non pas ses ressources minières.

Dans le contexte de cette pandémie, comment le Haut-commissariat des Nations Unies en Guinée, s’attache-t-il à mettre en œuvre son mandat ?

De manière générale, les agences des Nations Unies réorientent leurs ressources et leur expertise pour soutenir les efforts locaux et travaillent avec la Banque mondiale, les donateurs et d’autres institutions financières sur la mobilisation des ressources.

Dans ce contexte, notre rôle est de veiller à ce que personne ne soit laissé pour compte dans la riposte. Nous mobilisons la communauté des défenseurs des droits de l’Homme et faisons le plaidoyer afin qu’il n’y ait pas de discrimination ni de stigmatisation, notamment à l’encontre des personnes en détention, des migrants de retour et des ressortissants des pays d’où des cas ont été importés. 

Pour ce faire, nous avons réajusté le contenu de notre surveillance sur le terrain et des médias sociaux, de nos formations et nos sensibilisations, mais aussi de notre diplomatie des droits de l’homme pour y inclure le droit à la protection sociale et la prévention et la redevabilité pour les violations des droits de l’homme, en général, liées à COVID-19, notamment en ce qui concerne l’arrestation et la détention.

La riposte au COVID-19 nous offre aussi l’opportunité de changer de manière de travailler aussi bien au sein du Haut-commissariat aux droits de l’Homme que de l’ensemble de la famille des Nations Unies à travers les nombreuses réunions en ligne et un accès sans précédent a des informations et connaissances qui améliorent notre façon de travailler sur le terrain. C’est en somme une occasion unique de poursuivre et améliorer le travail et le plaidoyer que nous faisons en faveur et sur le droit à la protection sociale et le droit au développement, ainsi que la réalisation des Objectifs de Développement Durable. Cette culture du partage et du devoir de solidarité, qui ramène au concept africain de Ubuntu, est pour moi la principale leçon de la riposte au COVID-19.